Policier, un métier ?

maurice-rajsfus-3-300x225Les violences de la police française, un certain Maurice Rajsfus en savait quelque chose. Il a échappé aux rafles nazies, mais pas ses parents, arrêtés par des agents de police bien français, avant d’être déportés dans les camps.

Écrivain, journaliste et historien, Maurice Rajsfus, pseudonyme de Maurice Plocki, né en avril 1928 Paris et mort le 13 juin 2020, reste l’un des plus grands spécialistes de la chose policière. On ne compte plus ses ouvrages sur la question (La police hors la loi, Les mercenaires de la République, L’Intelligence du Barbare, etc., cf sa biblio) comme ses interventions auprès des collectifs en lutte. En 2014, il nous avait confié ce texte, qui sera publié dans le n°1 de Zélium vol. 2 (décembre 2014). Il devait constituer la préface d’un livre qui n’est, lui, jamais paru; il devait s’appeler « Policier, un foutu métier ». 

On vous laisse donc redécouvrir ce texte inédit de Maurice Rajsfus.

(edit janv. 2024)

Illustrations : Slobodan Diantalvic / Flock

Pour notre ami Petit Robert, qui ne nous quitte jamais, la police est une fonction ayant pour finalité de faire « respecter un certain nombre de règles imposées aux citoyens afin de faire régner l’ordre et la sécurité ». Pourtant, notre dictionnaire favori n’aborde jamais l’aspect répressif du policier sur le terrain. De plus, jamais il ne nous est expliqué que le policier pratique un métier. Cela n’empêche pas la femme ou l’homme en uniforme bleu-marine d’acquitter toutes les tâches qui leur sont confiées, sans rechigner ni revendiquer. N’oublions pas qu’en 1948, leurs anciens ont renoncé au droit de grève en échange de l’intégration d’une prime dans leur salaire.PASSAGEATABAC

Peut-on dire que la police constitue un corps de métier ? Grave question. Laissons encore le soin de l’analyse à Petit Robert. Sans la moindre hésitation, il nous explique que le métier c’est « le genre d’occupation manuelle ou mécanique qui exige un apprentissage et qui est utile à la société économique ». Voilà qui est net et sans appel. Serait-ce que le policier n’est pas utile à la société ? Disons plutôt qu’il sert les desseins des tuteurs de nos sociétés hautement civilisées et donc censées être humanistes. En fait, l’activité du policier s’apparente surtout à une besogne, voire une corvée rémunératrice, car il ne produit rien d’autre que des actes répressifs. Pour les victimes du zèle policier ce serait surtout un foutu ou un sale métier !

Assurer l’ordre public n’est nullement un métier au sens où peuvent l’entendre ceux qui s’échinent au long de chaque jour, à l’atelier ou à l’usine. En effet, qu’apprend-on dans les écoles de police ? Surtout à contraindre les citoyens à respecter le pouvoir du moment, qui bien souvent, les tient sous haute surveillance. À cette fin, les instructeurs apprennent à leurs « étudiants » à manier la trique bien plus qu’à entretenir le dialogue. Comme la police des pays se revendiquant hautement de la démocratie a évolué, technologiquement parlant, les futurs fonctionnaires de l’ordre public sont désormais initiés à ces armes que l’on s’évertue à nous présenter comme étant « non-létales »: le flash-ball, ou sa version cogne-gomme, ou ce pistolet taser à impulsion électrique, quand ce n’est pas l’arme à feu de dotation, pour se défendre le cas échéant.

taserIl n’est pas possible d’ignorer les trop nombreux policiers qui exercent conjointement deux métiers : celui de gardiens de la paix, le jour, pour protéger les institutions – bien plus que la veuve et l’orphelin – et celui de ripoux, la nuit, pour éventuellement dépouiller ceux qu’ils devraient mettre à l’abri des malfrats. Les scandales les plus récents, comme la mise à jour des exactions des policiers de la BAC-Nord de Marseille, ne peuvent qu’inquiéter, tout comme les exploits de certains policiers de la Brigade de répression du banditisme (BRB), authentiques dealers de drogues diverses, survenant quelques mois après l’affaire du « grand flic » lyonnais, Michel Neyret. Sans que cela soit la règle, ces comportements déviants sont fréquents. Surtout, nos moralistes de l’ordre public ne se sont jamais risqué à comptabiliser les policiers, escrocs ordinaires, maîtres-chanteurs, voire souteneurs, quand il ne s’agit pas d’auteurs de viols en réunion. Comme nous nous sommes efforcés de faire dans le bulletin Que fait la police ? de 1994 à 2014 (**). Parmi les milliers de ces faits divers relatés et triés par genre, nous avions également relevé les comportements les plus brutaux, tout comme les éructations injurieuses proférées par des fonctionnaires assermentés.

« Il n’y a pas de sots métiers, c’est entendu », rappelait le poète et romancier Miguel Zamacoïs, qui ne manquait d’ajouter, « mais il y a ceux qu’on laisse aux autres ! » Ce conseil n’a pas dû être susurré aux futurs policiers, lesquels prétendront ensuite être les éboueurs de la société. Ils n’en sont surtout que les soutiers. Sans trop outrer le propos, rappelons cette saillie bienvenue du fabuliste Florian : « Chacun son métier, les vaches seront bien gardées ! »

M. R.

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* Lire sa biographie sur le site du Cherche-Midi, ou sur Wikipedia.
** Bulletins Que fait la police ? à retrouver sur le site quefaitlapolice.samizdat.net et dans le livre Je n’aime pas la police de mon pays (Libertalia, 2012).
Voir aussi le site de l’association Les Amis de Maurice RAJSFUS: https://www.mauricerajsfus.org/
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Article tiré du Zélium n°1 (déc. 14 – janv. 15),
disponible sur la boutique

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BONUS : Lire ci-contre la chronique d’un livre de Rajsfus, réédité en 2014, sur la censure militaire et policière pendant la guerre de 14, extrait du Zélium de juin 2014 (cliquez sur l’image).