Après l’annonce d’une procédure de dissolution contre « Nantes révoltée », la Coordination permanente des médias libres, dont Zélium fait partie depuis sa création en 2014, a publié le texte suivant en soutien à nos camarades de ce média nantais

 

tag-soutien-NRGérald Darmanin, après la réclamation d’élus de droite et de la majorité (droite aussi, donc), a annoncé avoir engagé une procédure de dissolution contre Nantes Révoltée, média indépendant dont on vous laisse deviner où il se situe. Contre cette mise en scène délirante de la censure par le pouvoir d’un contre-pouvoir local essentiel, nous, médias libres, affirmons que nous ne laisserons pas advenir ce dangereux précédent.

Rétrogradée à la 34ᵉ place sur 180 pays dans le classement 2021 de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse, la France est régulièrement condamnée pour les nombreuses violations du droit d’informer dans le cadre du « nouveau schéma national de maintien de l’ordre » et du projet de loi dit de Sécurité globale ; les manifestations sont devenues pour partie des zones de non-droit dans lesquelles le travail des journalistes est de plus en plus compliqué à exercer, voire toujours plus dangereux, avec de nombreux cas de reporters blessés par des tirs de LBD, matraqués, visés par des jets de gaz lacrymogène, arrêtés arbitrairement, ou privés brutalement de leur matériel de reportage. En outre, en 2020, deux journalistes d’investigation au moins ont été convoqués par l’IGPN dans le cadre d’enquêtes pour « recel de violation du secret professionnel ».

Mettre le pouvoir face à ses contradictions

Très récemment encore, l’audition devant le Sénat de MM. Bernard Arnault et Vincent Bolloré — le premier ayant mis en place l’espionnage du journal local d’investigation Fakir, et le second ayant racheté massivement des médias afin d’en faire une gigantesque plateforme de propagande pour l’extrême-droite — les a vu éviter toute question dérangeante sur leur pouvoir économique et médiatique, et se poser en gentils philanthropes connaissant mal l’univers des médias, murmurant : « L’objectif pour nous, c’est de faire en sorte que ces entreprises puissent devenir rentables. Et de faire en sorte que ce petit groupe de presse prospère. C’est notre objectif et ça ne va pas plus loin. »

Et voilà donc que Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur d’un président de la République pour lequel les journalistes ne sont là que pour véhiculer avec dévotion sa sainte parole venue d’en haut, s’en prend frontalement et brutalement à l’un des nombreux médias indépendants et de proximité qui, dans tout le pays, dans les villes et villages, souvent à base de bénévolat et d’autofinancement, tentent de faire vivre l’éthique journalistique sobrement résumée par Albert Londres dans une formule souvent citée : « Porter la plume dans la plaie ». Donc : déplaire, déranger, mettre le(s) pouvoir(s) face à ses contradictions, ses violences et ses failles, et donner voix à celles et à ceux qui ne l’ont pas.

Quelle image de Nantes, « capitale régionale » ?

Cette demande de dissolution se fait notamment, nous rapporte Nantes Révoltée dans son communiqué, par les voix de la responsable LREM de Nantes et de la présidente de la région Pays-de-la-Loire, qui se sont affirmées soucieuses de « ne plus laisser prospérer cette idéologie anarchiste et haineuse plus longtemps », affirmant que « depuis près de dix ans, des centaines de policiers et d’habitants ont été blessés au cours de ces manifestations violentes ». Côté policier, on ne sait pas trop, mais ce qui est sûr, c’est que lors de ces manifestations, de nombreuses personnes ont été arrêtées, blessées, mutilées par les forces de l’ordre. Et que ces exactions ont été dûment renseignées par l’équipe de Nantes Révoltée, qui remplit depuis des années avec minutie et passion son rôle de contre-pouvoir médiatique local.

Pire : Nantes Révoltée est accusée de nuire « à l’image et à l’attractivité de la capitale régionale ». Comme si le rôle de tout organe de presse était de relayer complaisamment la propagande municipale ; au moins, le propos est clair : médias, faites-nous de la pub’, ou bien disparaissez.

Mais voilà : Nantes Révoltée serait un « groupement de fait d’ultra-gauche » qui « répète sans cesse des appels à la violence […] contre l’État, contre les policiers, avec des propos absolument inacceptables », s’est alarmé Gérald Darmanin à la tribune de l’Assemblée Nationale, réclamant donc la dissolution du média, sur la base semble-t-il de l’article L212-1 du Code de la sécurité intérieure, stipulant que « toutes les associations et groupement de faits qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens » peuvent être dissous par décret en conseil des ministres.

Problème : en tant que média documentant les « luttes sociales et environnementales », Nantes Révoltée, comme ils et elles le répètent avec insistance à chaque fois que cette accusation leur est faite, ne fait que relayer ces appels à manifester. Puis, en bon média local, ses membres se rendent dans ces manifestations afin de les couvrir et de rapporter ce qui s’y passe. En gros : Nantes Révoltée fait son travail.

De Notre-Dame-des-Landes à la mort de Steve

Comme le média le rappelle dans son communiqué, « depuis 10 ans Nantes Révoltée propose une information indépendante, au service des mobilisations. Depuis 2012, nous avons publié des milliers d’articles, d’enquêtes, de visuels, de photos, d’analyses. Nous avons écrit des revues, donné la parole à celles et ceux qu’on n’entend pas, réalisé de grandes fresques. Nous sommes désormais lu-es par plusieurs millions de personnes chaque mois. Et tout cela de façon totalement auto-produite et bénévole, sans publicité ni subventions. » C’est notamment Nantes Révoltée qui, le lendemain de la fête de la musique en 2019, avait publié les vidéos de la charge policière qui avait été fatale à Steve Maïa Caniço.

La dissolution pure et simple d’un média ayant simplement relayé des appels à manifestations, et couvert ces dernières, constituerait une atteinte directe aux droits fondamentaux, notamment à la liberté d’expression et à la liberté de la presse, et serait un précédent aussi dangereux qu’inacceptable.

Nous, médias et journalistes indépendants, ou autres, ne pouvons accepter ni rester silencieux devant cette énième attaque du pouvoir macroniste qui piétine maintenant depuis cinq trop longues années les principes de la démocratie dans laquelle nous sommes censés vivre. S’en prendre à ce média, c’est s’en prendre à nous toutes, à nous tous.

Si ce projet de dissolution est mené à son terme, Darmanin peut être sûr que chaque média de ce pays verra fleurir dans ses pages une rubrique Nantes Révoltée où nos camarades trouveront hospitalité, et que des mobilisations seront menées dans chaque lieu où la presse alternative existe ; c’est-à-dire : partout. Nous avons des plumes, mais nous avons aussi des dents. Et nous savons mordre.

La CPML

• Médias signataires

CANSE, média en ligne antinucléaire du sud-est,
Démosphère Ariège (Ariège, donc),
L’Empaillé,
L’Infomniaque,
La Gueule ouverte ;
La Lettre à Lulu (Nantes),
La Mule du pape (Montpellier),
Le Journal Minimal,
Le Kiosque de la Tortue,
Le Monte-en-l’air (Paris),
Le Nouveau journal du pays de Fayence (Fayence),
Le Poing (Montpellier),
Le Ravi (Marseille), Demain le Grand soir,
Le Trente-Deux (Tarn),
Les Autres voix de la presse (Colmar),
Les pieds dans le PAF
Mediacoop (Auvergne),
Mouais (Nice)
Pilule Rouge (Nice),
Primitivi (Marseille),
Rapports de Force (Montpellier),
Reporterre,
Revue Z (un peu partout),
Ricochet (Drôme)
Sciences Critiques
SideWays, websérie itinérante,
SMK Video Factory (Bologne),
TV Citoyenne (Chambéry),
Youtubercule (Grasse),
Zelium Éditions,
Zin TV (Bruxelles).

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