Alors que les centres pour personnes âgées dépendantes bénéficient d’une exposition médiatique en ce début d’année 2022, il est temps partager un article paru dans Zelium n°11 (été 2020)

Non, les ultra-séniors ne sont pas forcément inutiles et coûteux. Certains, les plus solvables, peuvent même rapporter gros. C’est le business des petites mafias qui prospèrent dans le système des tutelles.

Texte : Valérie Labrousse / Dessins : Trax, Slobodan Diantalvic

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La vie s’allonge… Mais est-ce vraiment une bonne nouvelle ? Un vieux, c’est moche, psychorigide, égoïste, retord, encombrant, souvent malade et handicapé…

Or, si la plupart d’entre nous a du mal à accepter l’inévitable à venir, quelques-uns n’ont aucun souci à en tirer un maximum de profit. Au point d’appeler « l’or gris » ou la « silver economy », le juteux bizness du géronticide et de ses mouroirs concentrationnaires.

Récemment, un ancien directeur d’Ehpad (1) expliquait comment la malbouffe servie dans les établissements serait due à une restriction budgétaire, un choix assumé afin de satis- faire les actionnaires. Mais il n’y a pas que la dénutrition. Il y a aussi les brimades, les coups, les humiliations, l’absence d’hygiène, les abus médicaux… Dans l’Ehpad Château Lamothe, superbe maison de retraite située en Gironde, entre 1987 et 2003 la directrice a mis en application ce qu’elle avait appris quand elle exerçait comme infirmière à Berlin… en 1943 ! Cassage de dents, gavage de pensionnaires au vomi ré-ingurgité (sans doute pour lutter contre le gaspillage alimentaire), eau de javel sur les escarres, injection de morphine à tour de bras…! Et ce n’est qu’un exemple parmi plein, plein d’autres.

En août 2001, au centre de long séjour les Abondances, à Boulogne (92), Camille, 98 ans, a été retrouvée morte, une épaule démise et un œil arraché. En octobre 2014, Gilbert n’a nul besoin de fauteuil roulant. Pourtant il y est attaché quand même. C’est plus pratique pour le personnel de son mouroir toulousain car ça fait perdre moins de temps. Jusqu’à ce qu’il y perde vraiment l’usage des jambes.

Là, c’est Victoire qu’il faut punir. Réputée agressive, on la retrouve engluée dans sa merde, des bleus sur les bras. Elle, Camille, Gilbert et les trois quarts des résidents de Château Lamothe, étaient tous sous tutelle juridique, des adultes déclarés incapables de se gérer eux-mêmes.

Cet échantillon est tiré d’une longue enquête, entre 2006 et 2014 , portant sur les abus subis par les majeurs dits « protégés » (2), soit quelque 900 000 en France, dont une majorité de personnes âgées. Un univers sidérant de dominés et de dominants. Placements sous tutelle injustifiés, voire orchestrés. Violences, détournements de fonds (du minimum vieillesse à l’ISF), ventes immobilières frauduleuses, réseaux de revente de mobiliers…

Les charognards sont légion dans le métier…

Le secteur, fort lucratif, nourrit banques, assurances, immobilier, antiquaires, pompes funèbres, services à la personne, avocats, notaires, commissaires-priseurs…

La procédure juridique du “placement sous tutelle” offre un terrain plus que favorable pour transformer la personne vulnérable en véritable proie. Le système est rodé, on se serre les coudes dans un réflexe systémique entre médecins, services sociaux et magistrats.

Certains médecins peuvent préconiser une tutelle en diagnostiquant un Alzheimer en 5 minutes, produire des rapports de complaisance, derrière une porte, parfois même sans se déplacer. Des assistantes sociales font des « signalements » de vieillards déboussolés, en sachant pertinemment qu’ils seront embarqués pour un voyage sans retour. Des magistrats confient des personnes à des tuteurs voyous, couvrent les exactions, classent les plaintes.

Mieux. Quiconque s’oppose au système — victime, famille, proches — est neutralisé. Vous vous souvenez de Camille, la vieille dame à l’épaule déboîtée et l’œil énucléé ? Une juge des tutelles prédira des « retombées néfastes » si son fils alerte les médias. Qui ne manqueront pas d’arriver. Car finalement c’est effectivement lui qui se retrouve poursuivi par le gentil tuteur.

Mais soyez sans crainte. Il y a bien des contrôles. La loi contraint les Ehpad à effectuer une « auto-évaluation » tous les 5 ans. Si après ça vous n’allez pas confier maman le cœur léger… Toute bonne machine de guerre a besoin de théoriciens pour la concevoir et la légitimer, ainsi que d’institutions qui la mettent en œuvre et la couvrent. Ici, cela se passe autour d’un concept marketing, la « gestion du grand âge », un vaste monde de collabos issus des sciences sociales qui enrobent de cautions scientifiques la maltraitance des vulnérables et des vieux. Le climat social délétère autorise des avis désinhibés sur le sort des anciens. Une confusion insidieuse s’immisce entre le droit à l’euthanasie et sa promotion en solution finale. En bon éclaireur, Jacques Attali dégaine le premier, en 2003 : « On pourrait accepter l’idée d’allongement de l’espérance de vie à condition de rendre les vieux solvables et de créer ainsi un marché » (L’Homme nomade). La même année, la canicule a bon dos (19.490 décès officiels, en un seul été). Mais dans les mouroirs, on l’aide quand même un peu. Une ancienne employée de maison de retraite me confie que la consigne, pas criée sur les toits, était de « ne pas hydrater les pensionnaires ». Selon d’autres soignants, qui confirment ses dires, dans certains établissements la consigne perdure. Témoignages sous X, par peur de représailles.

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Le linge sale se lave en famille

L’intention d’exterminer du sénior pour renouveler le cheptel n’est pas démontrée. Mais c’est tout comme. Par exemple, à l’Ehpad La Riviera de Mougins (Alpes Maritimes, groupe Korian). Malgré des mois d’information sur l’épidémie, sur les 109 résidents, 40 y seront tués, et seulement 23 seront négatifs au Cov-Sars-2 (20 Minutes, 25 mai 2020).

La peur était chez elle à Château Lamothe. La directrice y obligeait le personnel à participer aux tortures. C’est suite à la dénonciation d’une aide soignante en dépression nerveuse que l’AFPAP, Association française de protection et d’assistance aux personnes âgées, porte plainte. Au procès, qui s’est tenu en 2012 à Bordeaux, seules deux familles se sont constituées parties civiles, alors que la bonne bourgeoisie bordelaise fait bloc autour de  «Madame Tape Dur », comme les résidents appelaient la directrice. Néanmoins, les faits de « torture » et « maltraitance » sont reconnus, et une peine d’une sévérité redoutable est finalement prononcée : 4 mois de prison avec sursis. Pour comprendre comment cela a pu être possible, en 2013 je tente de joindre le médecin auteur d’un rapport alertant la DDASS des « dysfonctionnements » de l’établissement. C’est sa femme qui répond, sèchement : « Nous n’avons rien à vous dire. Ma propre mère était là-bas et elle y était très bien traitée ».

À chaque nouveau scandale dans telle ou telle maison de retraite dont les fait divers font régulièrement l’écho, l’émotion s’enflamme, mais elle ne dure jamais. Comme me l’a confié Christophe Fernandez, fondateur de l’AFPAP : « Rien à faire, quand les familles sont devant l’indéniable, elles nient ». Et le business continue.

Valérie Labrousse

1. Jean Arcelin, Tu verras maman, tu seras bien, XO, 2019

2. Valérie Labrousse, Les dépossédés – Enquête sur la mafia des tutelles, 2014 (épuisé, dispo en format e-book).