Aujourd’hui jeune retraité, Jean-Jacques Ferrand est un médecin singulier. Cancérologue réputé, il fut également le conseiller officieux de nombreux athlètes avant de les accueillir comme patients dans son cabinet après leur brillante carrière. Il a reçu Zélium dans sa villa d’Antibes, au bord de la piscine un scotch à la main, pour évoquer cette double casquette.

Dr Doping Inside

Jean-Jacques Ferrand, cancérologue ©Deloire

Jean-Jacques Ferrand, d’où vous est venu cet intérêt pour la performance physique ?
J-J F: Dès l’âge de dix ans, j’écoutais ma grand-mère prodiguer ses conseils de santé et de bien-être lors de longues soirées d’été dans le parc du domaine familial. Très attentif, l’enfant que j’étais se prenait déjà à rêver à beaucoup plus que le seul « bien-être »… C’est grâce aux deux braques allemands de père que vint ma  vocation. Avant les parties de chasse, je mêlais de fortes doses de caféine à leur nourriture. À ma grande satisfaction, le résultat était spectaculaire ! Malheureusement, père dut les abattre.

Z: Ils étaient tombés malades ?
J-J F: Non, non, mais ils dévoraient le gibier sur place au lieu de le rapporter. Dès lors, j’avais compris la différence entre les effets secondaires – qui sont  inévitables –, et les effets indésirables, qui nuisent aux objectifs de performance recherchés.

Z: La cancérologie, c’était une autre vocation ?
J-J F: Une vocation de complément, en quelque sorte, oui… Comme vous le savez, la cancérologie se trouve au coeur des technologies médicales les plus  avancées, en particulier en terme de pharmacopée. Mon amitié pour feu le Pr André Walpurgis, médecin du sport et passionné de cyclisme, a fait le reste. J’avais  rencontré Zoé, sa fille, lorsque j’étais jeune interne en médecine à l’hôpital Petiot de Béthune. Elle était anesthésiste et connaissait son Vidal sur le bout des  doigts. Mais surtout, elle n’avait pas son pareil pour réveiller un organisme autant que pour l’endormir, croyez-moi ! J’en fis ma première épouse.

Dopage_©Trax

Plus de 30 ans après sa mise au point, la presse commence à peine à citer la Barbacaïne ©. Pouvez-vous nous en parler ?
Que vous êtes flatteur ! Cette molécule était indétectable lorsque je l’avais conseillée à Bernard Honni – surnommé « le ragondin » à cause de son caractère  irascible et de sa physionomie particulière. D’une extraordinaire efficacité, elle lui a permis de franchir le fameux Col de Lutéruce à 58 km/h de moyenne lors du  Tour 82! Hélas, elle provoquait également de violentes diarrhées, ce qui n’était pas sans désagréments pour le peloton lors des fulgurantes échappées de Bernard.  Toujours sur mes conseils, les soigneurs avaient prétexté une inexplicable intoxication alimentaire, mais ça, c’était une autre époque…

Changement  d’époque, donc… Que pensez-vous de Flatulance Iamstrong ?
Il s’est fait prendre. Je ne connais pas ce Mr Iamstrong, mais pour gagner le Tour de France en soufflant si fort dans sa trompette après avoir marché sur la Lune,  il fallait forcément recourir à de grossiers stratagèmes ! Mais savez-vous que le mental de l’athlète peut aussi faire l’objet d’accompagnements particuliers ? Au  début des années 90, les laboratoires Zandoß avaient développé une molécule favorisant l’obstination et la persévérance. L’EPO également était en vogue, le grimpeur Richard Piranque en était friand, et ce malgré des risques de séquelles cérébrales déjà bien connus. Le labo a d’ailleurs changé sa dénomination en  apprenant que même mon amie Nadine Morano en abusait lors de ses campagnes électorales. Il s’agissait du Rantanplan ©, bien sûr.

Avez-vous officié dans d’autres disciplines que le cyclisme ?
Pas directement, mais le tennis est intéressant. La puissance musculaire et l’endurance sont essentielles, mais l’affrontement de deux égos face au public suppose  une gestion exemplaire du stress. Notre ancien champion Jeanhic Lenoir est un cas d’école. Si son palmarès reste moins spectaculaire que beaucoup d’autres, sa  décontraction et sa nonchalance apparente lui ont toujours attiré les faveurs du public, malgré ses origines. Il reste aujourd’hui très populaire, même si l’inhalation de batavia exotique ne fut pas sans conséquences, hélas…

Il souffre de problèmes de santé ?
Rien de grave… à part qu’il a entrepris une carrière de chanteur. Sinon, l’avenir, c’est la natation. La génétique est entrée dans la piscine olympique grâce à Flore  et Laurian Mènaubout. La simple greffe d’une brève séquence d’ADN de poisson a permis à leur métabolisme d’obtenir des performances prometteuses pour un ratio coûts/bénéfices très intéressant. Juste des effets indésirables mineurs de type neurologique, notamment au niveau de la mémoire et surtout de syntaxe, du  vocabulaire… Quant aux déformations faciales, elles sont sans doute liées à l’espèce de poisson utilisée pour le test : le mérou.

Revenons à la cancérologie : quels athlètes avez-vous suivi ?
Celui qui m’a le plus touché reste Florent Pignon. Il n’a jamais été pris par les autorités antidopage. Je me doutais pourtant que le Barbouzan © associé à la  Palpatine © aurait des conséquences néfastes à long terme. Je n’oublierai jamais son sourire de gratitude lorsque je lui ai retiré une magnifique tumeur rose-violacée de presque 600 grammes. Malheureusement, celle-ci s’était développée sur le haut du dos, donnant à sa silhouette élégante une désagréable  ressemblance avec celle de Pierre Gattaz. Je l’ai longuement accompagné… (silence) … son autobiographie (que j’ai co-écrite) évoque le courage exemplaire avec  lequel il a affronté la maladie, qui n’est pas sans rappeler celui de Pompidou ou de Mitterrand. Devenu consultant sportif à la télé, il a grâce à mes soins offert au  public sa belle voix caverneuse jusqu’aux derniers jours avant de partir…

Doping_Froome_©Espe

Votre double-jeu n’est-il pas un peu cynique ?
Certainement pas ! J’ai aidé ces athlètes à accomplir leurs rêves. Et ils m’en savent gré, vous savez ! Parlons d’athlétisme : vous souvenez-vous de l’extraordinaire championne olympique qu’était Maria-Josy Fennec ? Elle a fait croire à tout le monde qu’elle avait quitté les JO de Sydney en 2000 sur un coup de sang, avant de prétexter diverses blessures pour éviter son retour en compétition. La vérité est que nous savions — grâce à mon ami, le Dr Campbell — que la Parabelline © était devenue détectable. Grâce à son magnifique plan-médias, elle s’est mise à l’abri du déshonneur tout en m’évitant une radiation du Conseil de l’Ordre ! Une vraie  héroïne du sport, je le dis sans jeux de mots. Mais sachez une chose : on ne fait pas de surhommes sans métastases ! Mon éthique de médecin m’a mené à  accompagner les conséquences inévitables de ces vies réussies… Et je crois qu’une société sans héros est comme une Mercedes sans intérieur-cuir. Je l’avoue : j’ai contribué à traiter la morosité collective qui ronge nos contemporains. Pour conclure, je crois pouvoir dire qu’avec ou sans contrôle antidopage, mon bilan est “  globalement positif ” ! [rires et gloussements]

Propos recueillis par la rédaction

Dessins de ©Deloire, ©Trax et ©Espé

 

Entretien paru dans le Zélium « Sport, bizness et jeux de dope »

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