Reportage de Côme Tessier
publié en page 2
du
Zélium n°11
(septembre-octobre 2012).

En kiosque jusque début novembre 2012.

Extrait de la page consultable ici (PDF)

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En marge du gros évènement touristico-artistique nantais, très officiel et très subventionné, intitulé « Le Voyage à Nantes », un collectif dénommé « Le Virage à Nantes » a peint en douce quelques murs et quelques terrasses. Comme un pied-de-nez à l’art officiel aseptisé. Deux phrases en grosses lettres : « Où sont les gens du voyage à Nantes » bien propre, étalé sur près de cent mètres de long, et « ceci n’est pas du VANDALISME », mais aussi des œufs géants éclatés, peints sur les toits, sous un bar transformé en nid par un artiste subventionné. En complément de l’article « l’attaque des pinceaux masqués », paru dans Zélium n° 11, interview exclusive de ce collectif.

 

 

Zélium : Pourquoi avoir lancé « Le Virage à Nantes » cet été ?

Le Virage à Nantes : L’art contemporain est fait pour dire quelque chose. On a choisi d’utiliser l’audience du Voyage à Nantes, comme un jeu de captation, afin d’exprimer notre vision des choses. Ensuite, s’ils n’avaient pas effacé la fresque sur les « gens du voyage », cela se serait sûrement mieux passé. En faisant cela, ils voulaient presque nous apprendre notre métier, où nous avions le droit de taguer [la ville de Nantes offrant des pans de murs aux graffeurs]. Ils nous ont même accusés d’avoir effacé une ancienne fresque. Mais on connaît très bien les graffeurs du milieu, on sait qui avait fait ce qu’il y avait avant. Le graff est quelque chose d’éphémère, mais comme tout. Et tant qu’on ne l’efface pas au kärcher, il reste.

 

 

C’était aussi un moyen de mettre en avant le rôle et le travail des street artists. Au moment de cette première fresque, ceux qui avaient participé à Over The Wall [une exposition de peintures sur différents bâtiments dans la ville] n’étaient pas même sûrs d’être payés encore.

 

 

 

Donc qu’est-ce que c’est, concrètement, le Virage ?

C’est un collectif d’artistes, qui va probablement perdurer, avec des actions ponctuelles lors de manifestations, sur différents thèmes, à Nantes. C’est une forme multisupport, avec par exemple de la vidéo, ce qui nous permet de raconter une histoire avec nos œuvres. C’est donc un rassemblement de plusieurs associations et plusieurs personnes au sein d’une même entité. La première action était très politique. On souhaitait montrer la ville sans retirer ce qui est moche, ne pas la lisser complètement le temps du Voyage à Nantes.

 

 

Comment se compose le Virage ?

C’est une communauté artistique. On fait un travail d’équipe, chacun apporte ce qu’il a à apporter. On est un groupe. Cela veut dire qu’on garde les idées de chacun, on discute, mais lorsque l’on s’exprime, c’est bien un « on ». Il n’y a pas de « je ».

 

 

Comment sont nés les œufs ?

On réfléchissait depuis un moment sur la manière d’utiliser l’emplacement de l’héliport situé au-dessus des anciens grands magasins Decré, avec cette forme ronde. On avait plein d’idées, comme un smiley géant. Depuis le bar du Nid [bar placée en haut de la tour Bretagne, qui surplombe Nantes], l’idée de l’œuf au plat est devenue évidente. Et tout de suite, on a trouvé plusieurs autres emplacements possibles.

 

 

À ce moment là, ça a pris tout de suite. Le public dans le bar réagissait très positivement. Lorsqu’on est monté le lendemain, pour prendre des photos des œuvres, ça en discutait déjà à l’intérieur ! À l’origine, on devait signer un des œufs au nom du Virage, avec du « ketchup ». Mais finalement, il y avait trop de pluie le jour prévu, c’était impossible à faire. Et ça entretient le mythe de l’artiste anonyme, c’est bien aussi.

 

 

Ensuite, on a décidé d’arrêter lorsque c’est devenu trop attendu, lorsque les journaux ont commencé à titrer « à quand le cinquième ? ». Là, on a dit stop.

 

 

Quel est le message des œufs ?

Le message était moins direct que pour les gens du voyage. Il y a plus d’interprétations possibles. Pour certains, c’était cette « culture-coucou » du Voyage à Nantes qui s’installe dans le Nid des artistes nantais et les vire. Il y a de toutes manières plusieurs aspects derrière les œufs. Il y a aussi une part de culture historique, de la ville et de ses bâtiments, de cet héliport désaffecté depuis des années et qui était oublié dans la mémoire collective.

 

Pourquoi vouloir garder ce côté anonyme ? Ne pas continuer quand les médias commencent à trop vous attendre ?

On est des héros vengeurs, à la Banksy, qui se cachent. On ne veut surtout pas tomber dans le jeu de la récupération par les autres. C’est la réactivité du public qui nous intéresse. C’est lui qui donne son avis et c’est entre ses mains que les œufs nous échappent. Ils se réapproprient le truc. D’autant plus que le graff est généralement un truc de graffeurs, avec des codes de graffeurs. Les œufs, parce que ludiques, parlaient à tout le monde. Un des participants a même dit qu’au final, on parlait plus des œufs que de ses 20 ans de graffs.

 

 

Vous vous sentez proches d’autres actions artistiques actuelles ? Y a-t-il des choses qui vous ont inspiré pour donner au Virage ?

On peut citer les Femen, ces féministes ukrainiennes, ou les artistes anglais qui ont réalisé des affiches pendant London 2012. C’est toujours cette idée de la récupération. Eux, ce sont de vrais cuistots. Ils prennent des ingrédients un peu partout pour en faire une recette assez explosive. Sans oublier le côté ludique, qu’on a repris pour les œufs. Toujours garder ces deux aspects : le jeu et le message, qui existe derrière « casser les œufs ».

 

Comment avez-vous réagi qu’on vous a présenté comme le « off » du festival ?

Au départ, on avait envisagé d’utiliser le mot dans notre nom. Mais on était gêné par l’aspect « être dans l’ombre » que cela supposait. Le Virage se veut être une rumeur de la ville, un mode d’expression pour répondre au vide de critiques et au trop-plein de conventionnel, sans avoir de limite dans le temps. Il fallait donc qu’on soit hors de l’événement et qu’on montre ce que l’on sait faire, librement. On a encore plein d’autres choses à faire.

 

 

Comment vous avez perçu l’effacement du Voyage à Nantes dès la fin de l’événement ?

Quelque chose qui nous fait rire à ce propos, c’est ce que finalement, ce sont les œufs qui vont rester, et pas la ligne rose [qui indiquait au sol le trajet entre les œuvres du Voyage à Nantes]. L’exemple du graff sur le mur extérier du Lieu Unique est frappant. Il a été effacé alors qu’honnêtement, il ne gênait personne. Cela a un côté « on a du fric, on peut très bien tout recommencer lorsqu’on en aura envie ». Le personnel municipal n’y peut rien, lorsqu’il doit le faire. On a discuté un peu avec certains d’entre eux. Officiellement, l’œuvre a été effacée parce que le LU songe à faire la même chose pour d’autres événements, plus tard. On verra. Tout de même, en France, on remarque qu’il est très difficile d’avoir des pans de murs entiers pour faire des graffs.

 

 

Que va devenir le Virage à Nantes aujourd’hui ?

On va continuer à faire des actions flashs, sans laisser le temps de s’organiser. L’objectif est de créer à chaque fois un impact. Avoir la ville qui se réveille et qui est confronté à quelque chose d’inhabituel. Même si on a peu de moyens, ça reste un acte gratuit, qui montre ce que l’on sait faire. Avec une parole libre, non-inféodé par des subventions. Y a encore de la peinture qui va couler sous les ponts…

Propos recueillis par Côme Tessier



Le site du Virage à Nantes :
http://le-virage-a-nantes.blogspot.fr



Le Jingle du Virage à Nantes :



Le Manifeste du Virage à Nantes :

Le virage à Nantes est une invitation au désordre, à d’autres lignes. Un mouvement émancipé pour engager voyageurs et habitants loin des itinéraires fléchés et des chemins balisés, biaisés.
Le virage à Nantes récupère l’événement, détourne les regards et contredit la proposition officielle pour révéler les interstices, les incidents, le moche et le banal, trop rarement cartographiés ou catalogués pour un papier glacé qui ne laisse rien suinter.
Le virage à Nantes est un mouvement – éphémère et percutant – qui scande une forme de créativité critique et collective; loin du marketing territorial et des plans de communication guidés par l’attrait d’un rayonnement de vitrine …
Une invitation à occuper les marges, à raisonner et résonner, l’espace d’une ville et d’un été.
Artistes, graffeurs, vidéastes, affichistes, artistes sonores, performeurs, … Pour rejoindre Le virage à Nantes écrivez à levirageanantes@gmail.com et proposez, investissez, débordez .
Aucun projet visant à détruire, salir, casser la gueule, détériorer, voler ou embellir les oeuvres et propositions du Voyage à Nantes ne sera labellisé ou cautionné par Le virage.


La page Viméo du Virage à Nantes :
https://vimeo.com/user11647176