Lors de la première édition du festival Satiradax en 2011, Zélium a rencontré Benoît Delépine, spécialiste des médias d’hier et d’aujourd’hui. Avec le journaliste correspondant grolandais, nous avons tenté de percer le mystère technologique du Web -2.5. Un regard visionnaire jusqu’aux confins de la révolution numérique.

 

Zélium : Avec la nouvelle esthétique de Groland.con cette année, on voit bien que vous avez enfin franchi le pas des vieilles technologies.

Benoît Delépine : Après bientôt 20 ans de Groland, on se sent hyper vieux et largués. Alors on s’est dit faut qu’on franchisse le gap technologique. C’est là que nous est venu l’idée de Groland.con avec le minitel, les disquettes, les vieux modems et tout le bordel. On devait être encore bourré…

Les nouvelles technologies, ya que Moustic qu’aime bien ces trucs-là. Comme il a peur de vieillir, il s’accroche à Internet comme un clébard à son os. Il a même crée I have a dream, sa propre radio sur le ouèbe.

 

Vous pensez à vous mettre à la page des nouveaux médias ?

Avant dans le Magzine, il y avait une revue de presse. Le truc classique avec les Unes de la presse grolandaise (Soir Matin, Pourri Match, Les Échus…), maintenant c’est une revue des sites internet (Rue69.grd ou lesincrocuctibles.con). La presse, c’est fini. À ta place, ça me foutrait les boules…

Sérieusement, on va bientôt avoir une application GroPhone. J’ai pas compris à quoi ça sert, mais apparemment elle permettra de tâcher ton écran tout seul. Pour éviter de le faire avec tes sales doigts dégueulasses. Sinon, y aura tout : les vidéos, l’historique, la géographie avec Grogle map, le doctissimo grolandais… en fait, tu pourras vivre en autarcie avec cette application.

NB : Téléchargeable pour de vrai ici.

 

Imaginez-vous encore un recul technologique possible ?

Hola, ça va être difficile. On va essayer de rester le plus longtemps possible en 2D. Parce que nos gueules en 3D dans ton salon, imagine !

 

Vous avez des chiffres du visionnage de l’émission sur le site par rapport à la télé ?

Aucune idée… Pourtant Canal+ doit connaître ces chiffres. Le fait de pouvoir parler toutes les semaines à 1 million de personnes à la télé, c’est rarissime. Surtout en faisant des trucs vraiment trash. Sur Internet, je dirais 1,5 millions, à 1 million près. Vu qu’on est seulement diffusé sur le câble grolandais, tous ceux qui n’habitent pas au Groland le regardent sur Internet. Ça me fascine toujours de savoir qu’il y a des mecs en Australie ou en Afrique qui nous regardent. C’est grâce à l’arrivée des grandes ondes. C’est bien ça ?

 

Est-ce que le président Salengro fera sa campagne sur les réseaux sociaux, comme Obama ?

Bien sûr, puisque l’année prochaine c’est la grande campagne de réélection de notre président. Vu qu’on fonctionne par septuanat, il est élu pour 70 ans. Il est toujours en campagne car, comme c’est le seul candidat et le seul votant, il doit s’auto-réélire chaque année. Bon, faut faire gaffe quand même. Comme il est très alcoolique, il pourrait voter pour quelqu’un d’autre…

 

Vous restez de toute façon dans la parodie de ce que font les médias ?

On est de plus en plus débordé pour réussir à faire plus con que les conneries de la télé. Mais on a beau parler de l’actualité, finalement nos sketchs restent encore poilants 5, 10 ou 15 ans après. D’ailleurs, toutes les semaines, on prend un branleur en stage pour visionner tous nos vieux sketchs pour qu’ils choisissent, avec son regard neuf, ceux qui pourraient être à nouveau diffusables. On les change souvent ces petits jeunes, parce que psychologiquement c’est pas facile de nous regarder jeunes et minces. De toute façon, ils ne nous reconnaissent pas. Notre grande joie, c’est quand on arrive à rediffuser ça directement, parce que ce qu’on racontait en revanche n’a pas pris une ride.

 

Ça ressemble à du recyclage…

Oui, mais on est tellement atteint, que la plupart on s’en souvient plus. On revoit qu’on a fait beaucoup de merde aussi. Mais on se rend compte aussi qu’on s’attaquait à des tendances lourdes, et pas trop aux petits faits divers qu’on nous ressort sans arrêt. C’est ça qui reste atemporel.

 

Vous n’êtes pas fasciné par les effets que peuvent produire les réseaux sociaux, comme pour l’organisation des récentes luttes révolutionnaires ?

L’air de rien, on écrit plein de choses dont on ne garde qu’une partie parce qu’on considère que c’est relativement original. Et on jette tout ce qu’on considère comme déjà-vu ou pas intéressant. Le militantisme ça nous prendrait trop le chou… comment dire. Si on se lance à faire un vrai site, ou même monter une boite de production, ça demande une énergie folle. Et on aurait moins de temps pour faire le principal, de monter une émission qui tient la route.

Par contre, une utilisation des technologies pour laquelle j’aurais envie de me battre, ce serait pour une forme de démocratie directe. Tous les soirs en rentrant chez toi, par exemple, tu aurais à faire des choix sur les décisions pour ta commune, ton département ou ton pays. C’est carrément utopique, mais ce serait une belle forme de démocratie anarchiste. Dans les réunions militantes, on retrouve toujours les mêmes inégalités, entre les grandes gueules, les timides, ceux qui ont l’habitude de parler en public… À Attac, on retrouve les mêmes luttes de pouvoir que dans un parti politique. Tant qu’on n’aura pas une prise de décision directe, ce sera compliqué. Les technologies pourraient servir à ce genre de bordel.

 

Propos recueillis par Emmanuel Lemoine