Au moment où la zone du Testet, dans le Tarn, fait l’objet d’une attention toute particulière des autorités afin de pouvoir creuser un barrage pour les besoins de l’agriculture intensive, nous publions un de nos articles du numéro 15 (spécial Greenwashing, mai 2014)  consacré à une stupidité sans nom, la « compensation écologique ». Et ça tombe d’autant mieux que l’Etat a lancé un appel d’offres public — bouclé le 5 décembre — visant à terminer le travail « compensatoire » à NDDL (révélation de Reporterre du 27/9, papier signé du même auteur).

Que cela vous encourage à passer le mot autour de vous, histoire de rappeler l’existence de notre campagne de souscription pour nous aider à sortir le n°17 ! C’est ici: http://fr.ulule.com/zelium.

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Compensation, nouveau piège à cons

Pour ratiboiser un coin de nature et garder bonne conscience, les technocrates ont inventé la « compensation écologique » ! Un dispositif de « droit à détruire » qui est tombé sur un os à Notre-Dame-des-Landes. Les naturalistes, l’Europe… tous toussent.

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La France manque de déserts. Et franchement, ça n’arrange pas les bétonneurs. Faute de pouvoir recréer autant de surfaces naturelles que l’emprise du projet d’aéroport prévoit d’en détruire, il a fallu trouver une entourloupe. Le bureau d’études Biotope choisi par Vinci a tenté de la jouer à l’américaine. Aux USA, depuis les années 1990, quelques 500 « banques de compensation » permettent de passer au bulldozer

le terrain de jeu, mettons du pithécanthrope rieur amphibie, en rachetant, ailleurs, des coefficients correspondant à la valeur de ce qu’on ratiboise. « On attribue des points : un hectare vaut par exemple 25 points. Si on le détruit, il faut trouver 25 points pour le remplacer, disons dix mares à 2,5 points » explique François de Beaulieu, animateur du Collectif des naturalistes en lutte contre le projet d’aéroport (1), par ailleurs secrétaire général de l’association Bretagne vivante. C’est aussi con que les autorisations refilées aux industriels pour larguer des gaz à réchauffer le climat.

En résumé, ce terme novlangue de « compensation » est un vrai droit à polluer tarifé, privilégiant les plus riches qui se payent sur un marché mondial le luxe de racheter leurs dégâts. Un droit cynique, car la compensation autorise à détruire légalement des espaces naturels. D’ailleurs, le principe des quotas carbone a « servi de Cheval de Troie pour étendre à d’autres atteintes à l’environnement », poursuit le naturaliste. « Les critiques traversent les communautés naturaliste et scientifique. » Autre objection : il faudrait des années – plus de vingt ans pour une zone humide d’exception comme NDDL –, pour restaurer des milieux équivalents. à supposer que ça marche…

Les projets réalisés en 1999 et 2000 dans le New England, aux États-Unis, accusent un « taux d’échec élevé » pour la récupération des fonctions écologiques, comme l’a affirmé un rapport officiel commandité par le gouvernement Ayrault, qui se serait bien vu chef d’escadrille à NDDL (*).

Irréalisable mouvant

Sans précédent en France sur une surface de telle ampleur, l’expérience de Notre-Dame-des-Landes pourrait servir d’exemple pour les futurs bétonnages en Europe. Et tant pis si ces milieux se montrent rétifs au copié-collé. Il suffirait juste d’y mettre le prix. Le hic, c’est que le même rapport d’experts chargés de jauger la pertinence de ce joli système au nord de Nantes a récusé le principe même de la compensation, relevant même « son excessive complexité, la rendant peu intelligible par les citoyens ». Ce qui plombe un système censé transformer la nature en un truc mesurable, et qui prétendait rétablir des zones humides complexes et rares, dans un processus envisagé à la légère, sans suivi sérieux ni garantie de résultats. Pour le cas particulier de NDDL, le collège d’experts juge « probablement irréalisable » la compensation : « créer ou restaurer un tel complexe d’écosystèmes à l’identique ne paraît pas possible ».

Légalement, avant d’être « compensé », tout projet qui risque de ruiner un milieu naturel doit passer par les deux phases « éviter » et « réduire ». La compensation, c’est la dernière possibilité – un pis-aller, pas un but en soi, ni un calcul pour brûler les étapes.

Le principe de compensation appuie l’idée que partout où la nature embête, on va la déménager ; et pour cela, il faut la mesurer », souligne François de Beaulieu. Or, ajoute-t-il, si l’on parvient à quantifier dans les cas les plus simples, ce système de coefficient s’avère inapplicable à des milieux aux interactions complexes où isoler les éléments n’a aucun sens. à ce petit jeu, les « déplacements d’espèces » prévus dans le cadre de toute « compensation », ne sont qu’une destruction qui ne dit pas son nom.

Les mesures compensatoires, c’est vraiment plus con qu’on pense.

(*) Lire à ce sujet le rapport « relatif à l’évaluation de la méthode de compensation des incidences sur les zones humides » rendu par un collège d’experts mandaté par le gouvernement Ayrault sur le projet de NDDL, avril 2013. Pour télécharger le rapport: http://tinyurl.com/ltsnhln.

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Écollabo

Le projet de nouvel aéroport de Notre-Dame-des-Landes pourrait être le chant du cygne pour une entreprise qui fait son beurre des opérations de « transition écologique ». Née dans l’Hérault il y a 20 ans, Biotope « a permis l’émergence et la prise en compte de l’écologie dans l’approche environnementale des projets d’aménagement », selon ses propres termes. Sans vouloir noircir les valeurs écolos de ses fondateurs et salariés, Biotope met son double jeu à l’épreuve à NDDL. La société a remporté l’appel d’offres visant à recenser les espèces naturelles qui devront être « déplacées » – c’est à dire « détruites » sans langue de bois – dans la zone du futur chantier. Pour les militants de la ZAD, Biotope est autant collabo que Vinci (le concessionnaire). Si ce n’est plus : elle est la première cible de la campagne « Adopte un sous-traitant » qui cherche à faire pression sur les entreprises du chantier Vinci.

En novembre 2013, son agence de Nantes a été « vandalisée, volée et saccagée », et cela pour la seconde fois depuis qu’elle intervient à NDDL. Bien entendu, elle affiche sa « neutralité » et « déplore l’amalgame qui est parfois fait entre les enjeux politiques des projets et [son] rôle d’expertise objective » (cf leur texte en PDF). Suite à cette action, elle a même lancé une pétition de « soutien aux entreprises de l’ingénierie environnementale : pour l’indépendance et la neutralité ».

Mais malgré ce ton martial, sur le terrain, les agents de Biotope se sentent un peu comme une espèce menacée et certains ne veulent plus mettre les pieds sur la ZAD. Bon débarras. Les tritons et les capricornes ne vont pas s’en plaindre.

Zélium n°15 / mai 2014. Texte: N. de la Casinière, J. Thorel. Illustrations: Flock et Rousso.