sivens-gielmsi-coverZélium est parti dans le Tarn, à l’automne dernier, couvrir la répression lancinante qui plane sur toutes les contestations sociales de projets soi-disant « d’aménagement d’intérêt général ». Là où il s’agit davantage de déménager les gêneurs pour bétonner au profit d’intérêts privés.

Entre-temps, le fameux projet de barrage dans la forêt de Sivens a évolué. La ministre a joué la conciliation, l’ouvrage a été raboté, les tribunaux ont parlé pour évacuer une partie de la ZAD, et le lieu est encore le théâtre de miliciens pro-barrage qui viennent occuper le terrain à coup de manche de pioche. Cet article a été mis à jour pour tenir compte des derniers éléments… Nos doutes sur les grenades du maintien de l’ordre sont, quant à eux, toujours d’actualité (second article plus bas).

Dessins : Giemsi, Willis From Tunis

 

(Articles parus dans Zélium 1 Vol. 2, décembre 2014, dispo ici : http://tinyurl.com/zelium1).

[Giemsi, octobre-novembre 2014]

Barrage à effet de souffle

Sans ménagement, l’aménagement du territoire ! Matraques et grenades, bulldozer, gaz et tronçonneuses. Aménagés de tous les pays, zadistez-vous !

Fleur au crayon, une équipe de Zélium est partie dans la vallée du Testet, près de Gaillac (Tarn), pour assister à une rencontre « festive » le 25 octobre 2014, au cœur d’une lutte contre un projet de barrage. La suite, vous la connaissez. Dans la nuit, Rémi Fraisse mourait sur la dalle en argile du chantier. Tué par une grenade des gendarmes mobiles, déployés ce jour-là pour protéger un simple grillage.

Nous sommes venus sur la ZAD du Testet pour illustrer la répression qui peut s’abattre sur un projet d’aménagement contesté, en l’occurrence un ouvrage dont la légitimité a été remise en cause à maintes reprises (1). Cette petite vallée du Tarn faisait en effet figure de laboratoire à ciel ouvert de la machine anti-gaucho. Malgré des actions juridiques encore en cours, les travaux ont en effet commencé début septembre dernier. Alors que les 30 ha de zone humide, fruits de toutes les attentions, étaient en train de disparaître, la ministre de l’Écologie a nommé le 8 septembre une « mission d’experts ». Qui conclura, le 27 octobre, au lendemain du drame, que le barrage n’est pas justifié — mais, comme c’est dommage, le chantier est trop avancé ! Cette mascarade politique s’est terminée à la mi-janvier, quand la ministre Royal a coupé la poire en deux, et laissé la forêt aux bétonneurs: le barrage sera plus riquiqui, donc l’honneur est sauf, il fallait bien ça pour calmer la FNSEA. Pour l’instant.

Il faut dire que pour en arriver jusqu’à la mort d’un manifestant, les autorités avaient bien préparé le terrain, ou plutôt le champ de bataille. Tout a été fait, depuis l’été dernier jusqu’à fin octobre, pour décourager les opposants au barrage et dissuader les zadistes d’occuper une partie de la forêt. Dès que le chantier a démarré début septembre, les pandores ont multiplié les brutalités gratuites. Une vingtaine de plaintes pour violence ont été déposées contre eux depuis fin août. Comme le 7 octobre, cette fameuse grenade balancée dans une caravane (un lieu clos, risque mortel), qui a grièvement blessé une femme à la main.

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La répression ne fut pas seulement policière. De véritables milices pro-barrage, avec cagoules, barres de fer et fusils à l’épaule, ont agit parallèlement. En janvier dernier, la Métairie, une vieille bâtisse occupée par les zadistes, était saccagée par une troupe en treillis, à l’aide de manches de pioches et de masses, aspergeant l’intérieur de produit chimique répulsif… Les assaillants sont repartis au son d’un cor de chasse. Les plaques de leurs véhicules étaient dissimulées. Avant cela, ils avaient incendié une maison en construction, une cabane en paille et tronçonné des arbres dans lesquels les zadistes étaient installés. Des attaques, pour la plupart, placées sous la haute protection des gendarmes. Dans la nuit du 12 au 13 septembre, les milices pro-barrage ont organisé une petite « battue anti-bobo », annoncée trois jours avant sur l’internet : « dimanche battue anti-bobo à sivens à l’occasion de l’ouverture de la chasse venez nombreux (…) un bobos abbattu [sic] une cartouche offerte lol » (lire ce récit édifiant sur le site des « Bouilles », un des camps de la ZAD). Avertis, des amis des zadistes se rendent sur les lieux. Leur camion est attaqué et ils seront pourchassés dans la forêt la nuit entière. L’un d’eux sera débusqué, battu et gazé par… des gendarmes. Il fera 17 heures de garde à vue.

Début février 2015, les miliciens ont repris du service, en bloquant la zone avec leurs véhicules et leurs barres de fer. Reporterre a chopé une photo d’un type en sweat-shirt, siglé « soutien aux gendarmes de Sivens ».

Voilà pour le contexte de cette bataille rangée. La nuit du 25 au 26 octobre ne pouvait pas être « festive ». On sait depuis que l’État a menti, que la cause de la mort de Rémi Fraisse était connue dès le dimanche vers 4 heures du matin. Maintenant, tout va mieux. Les « grenades offensives » ont été « interdites » (cf. encadré ci-dessous). Le 16 février, le tribunal d’Albi autorisait l’expulsion d’une des maisons de la ZAD. Le préfet peut légalement appeler les mêmes CRS pour disperser tout ce gourbi.

Selon France Nature Environnement, il existe environ 160 sites (autoroutes, lignes ferroviaires, complexes touristiques ou commerciaux…) où pourront se perpétuer la répression et l’expérimentation d’armes explosives contre des manifestants. Ça laisse voir venir.

J. T.

(1) Étude d’impact dépassée (datant de 2001 !), refus de prendre en compte les expertises environnementales et les alternatives au béton, conflits d’intérêts des élus de la région avec la société choisie pour construire le barrage… Lire l’épais dossier judiciaire sur le site du collectif Testet, principal plaignant dans toutes les procédures, qui rassemble des riverains opposés aux projet.
NB: La ZAD cherche du monde pour consolider les positions. Point culminant le dimanche 22 février, le lendemain d’une grande manif à Toulouse où la police sera encore et toujours au centre de toutes les attentions.

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Grenades de dissimulation massive

« Lors des opérations de Sivens, dans la seule nuit du 25 au 26 octobre 2014 (de 00 h 20 à 03 h 27), en trois heures d’engagement de haute intensité, on dénombre le tir de 237 grenades lacrymogènes (dont 33 à main), 38 grenades GLI F4 (dont 8 à main) et 23 grenades offensives F1 (dont 1 qui a tué Rémi Fraisse), ainsi que de 41 balles de défense avec lanceur de 40 x 46. »

Ces mots viennent du rapport d’inspection des deux corps de police remis le 13 novembre à Cazeneuve (1). Qui nomme donc l’arme du crime alors qu’une instruction est ouverte. Viser les OF-F1, que seuls les gendarmes mobiles (GM) utilisent, dédouane le reste. Car deux autres bombinettes dites à « effet de souffle » resteront « autorisées » : GLI F4 (grenade lacrymogène instantanée), assourdissante car très puissante (il faudra désormais un « binôme » pour les lancer, la bonne blague) ; et DBD (« dispositif balistique de dispersion »), grenade dite de « désencerclement », qui explose en éjectant des plots en caoutchouc, utilisée abusivement car le règlement exige de ne s’en servir qu’en cas d’« autodéfense » si des policiers sont encerclés par une foule menaçante. Évidemment, leurs débris de plastique ou de métal ont déjà blessé et mutilé des dizaines de fois (2). Et elles peuvent tuer tout autant. Surtout si elles explosent à bout portant. Le rapport ne s’épanche pas sur ces menus détails.

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Ça pète de partout

En revanche, le minutieux décompte, à l’unité près, des munitions déchargées depuis 2009 est très instructif. En 2014, partout en France, les pandores ont déjà balancé huit fois plus de GLI F4 (551, de janvier à fin octobre) que de grenades OF (65) et, en comptant les CRS, deux fois plus de DBD (417 exactement) que la moyenne des six dernières années. Globalement, toutes armes confondues, les robocops tricolores ont plus déversé de saloperies dans les rues et les champs en 2014 que pendant les trois années précédentes cumulées. Les marchands de canon « à létalité réduite » jubilent. Verney-Caron, le champion du flashball, s’est lancé dans les grenades de dispersion. Nobel Sport Sécurité (l’inventeur suédois de la poudre à canon), un pro des gaz incapacitants, s’est diversifié dans les balles « non létales ». C’est la fête aussi chez Alsetex (grenades, gaz, lanceurs et matos divers…). Suffit juste de trouver le champagne, pour les feux d’artifice c’est le groupe Lacroix, n°1 mondial — maison mère d’Alsetex —, qui régale.

J. T.

(1) Rapport relatif à l’emploi des munitions en opérations de maintien de l’ordre (IGPN/IGGN, 13/11/2014).

(2) Cf. le document Les armements du maintien de l’ordre, sur zad.nadir.org.

 

(Articles parus dans Zélium 1 Vol. 2, décembre 2014).