Depuis les assassinats du mercredi 7 janvier 2014, d’une lâcheté et d’une bêtise terrifiantes, j’ai soigneusement évité de réagir sur la toile. Je n’ai pas voulu m’épancher à chaud, et à vrai dire je n’ai pas su le faire car le choc est intense. La presse satirique est un petit monde et tous les dessinateurs sont des collègues, des amis parfois, avec de la chance, au delà des conflits entre les rédactions, les équipes et les égos. Comme beaucoup, je ne ferais pas ce que je fais, je ne serais pas ce que je suis, je n’aurais pas rencontré les gens qui m’ont influencé et formé sans Hara-Kiri et Charlie Hebdo. Mercredi, une bande de salopards a fait parler les armes. Il fallait s’y attendre, c’est arrivé et cela se reproduira hélas sans doute. Il s’agit maintenant de redoubler d’efforts pour ridiculiser les nombreux abrutis que porte ce monde, tout en méprisant au plus haut point leurs sanglantes menaces.

Maintenant vient le grand moment des larmes de crocodile, des commentateurs bien avisés, des appels à l’union, des cloches de Notre-Dame et de l’Élysée, du recyclage morbide, du mélange des genres, de la récupération raciste et ultra sécuritaire. Le temps des opportunismes et des hommages convenus, voire totalement à côté de la plaque, y compris dessinés, bien entendu. Le temps de la grande messe du hashtag surtout, de l’élan démocratique 2.0, du réveil des masses pour une excitation momentanée, en attendant la suivante. En tant que dessinateur d’opinion, de presse, du politique, impossible de ne pas l’avoir mauvaise : combien de ces centaines de milliers de personnes qui défilent et s’émeuvent – à juste titre, là n’est pas la question – sont des lecteurs de la presse satirique ? Combien sont là quand des journaux tentent de réunir trois sous pour continuer à porter librement leurs idées ? Défiler et brandir en masse un slogan tout fait, c’est une chose, mais acheter la presse libre, la lire, la promouvoir, ÇA, c’est soutenir la liberté de la presse, la liberté de penser et la liberté d’exprimer ces pensées. La presse satirique, la presse de critique sociale, quand elle ne crève pas sous les balles, elle crève de faim dans l’indifférence générale. Charlie Hebdo même, pourtant célèbre depuis des décennies, a souvent rencontré des difficultés financières. Siné Mensuel, et les plus petits comme Zélium, CQFD, Fakir et une myriades d’autres qui n’ont pas moins le mérite d’exister : tous ces journaux manquent de lecteurs depuis des années, bataillent pour rester à flot, pour se faire connaître, multiplient les appels aux dons pour ne pas disparaître. Faut-il attendre la mort pour être soutenu ?

Reste à voir si le fanatisme aura vraiment réussi son sale coup. La meilleure façon de contrecarrer ses plans, le meilleur sursaut démocratique qu’on puisse lui opposer, c’est bien de lire et de défendre durablement cette presse et ses acteurs. Sans parler des grands médias dans lesquels le dessin politique a progressivement disparu. Qu’ils publient des dessins, qu’ils embauchent des auteurs, qu’ils brisent le monopole de quelques stars ! Ce ne sont pas les artistes crève-la-faim qui manquent.

Je suis descendu spontanément dans la rue au soir de la tuerie. Chacun fait ce qu’il veut et je peux comprendre les motivations des uns et des autres, mais qu’on ne compte pas sur moi pour défiler avec Hollande, Sarkozy et les marionnettistes du pouvoir, les voyous à légions d’honneur, les soldats de la Bourse qui assassinent à coups de billets verts.

Ci-dessous, un petit dessin dérisoire qui en dit peu sur ce que je pense. Juste un bout, pour commencer. Le baiser baveux de deux fascismes qui s’entendent à merveille… Je le dédie aux fous de dieu et aux agités de la croix gammée, dont on n’a pas fini d’entendre parler.

Flavien Moreau *

baiser_baveux

(*Article paru sur son blog samedi dernier, la veille de la grande manif de Soutien à Charlie.)