[La fine équipe du Zélium vous fait partager la version enrichie d’un des articles publiés dans le numéro 1 Vol. 2 « Spécial Police », en kiosque jusqu’au 19 février 2015.]

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Manifester est un art contemporain dont les subtilités échappent encore aux CRS ou autres pandores mobiles. Pourtant, les sous-courants artistiques ne manquent pas. 

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On l’a déjà vu dans les rues de Berlin et Barcelone : Reflecto Cubo est un pavé géant gonflable de près de deux mètres de côté, fabriqué en matière réfléchissante argentée. Ses éclats de lumière et reflets du soleil gênent les charges de la police, sa vision et ses mouvements, et perturbe les prises d’images de leurs vidéastes attitrés.Devant ce pavé plein d’air, les gardiens de l’ordre sont désemparés. Avant le face à face avec un cordon d’argousins en armure, le cortège aura pris un air ludique, le ballon cubique bondissant de main en main au-dessus des têtes. On a même vu policiers et manifestants se renvoyer ce paveton maousse mais inoffensif, mais qui encombre la police. Scène ironique pour des guerriers de l’ordre chargés de violenter la foule. A Berlin, malgré son acharnement, la police suréquipée n’a pas réussi à dégonfler le ballon. La démesure des objets donne un côté carnavalesque à la protestation. L’autorité brutale s’en trouve ridiculisée, l’opinion publique regardant d’un bon œil ces « armes » qui ne manquent pas d’air. La méthode est reproductible, des sites expliquant en détail, avec photos ou vidéos, comment réaliser ces cubes d’air subversifs.

L’émeute considérée comme l’un des beaux arts ?

En 2010, lors du sommet climat de l’ONU à Cancún au Mexique, un marteau géant gonflable de 12 m de long, jeté contre les grilles de la conférence, a du être – difficilement – crevé et mis en pièces par la police. L’image a fait le tour du monde. Une petite victoire de l’air contre la politique et sa police. Le groupe Tools for action a aussi créé des scies géantes, des poumons, des oranges gonflables. D’autres sites activistes conne Enmedio dispensent des conseils et marche à suivre. Pas très pratique à porter : le costume de sumo gonflable (autour de 30 euros sur le Net) ou juste rembourré en mousse, pourtant infaillible contre les coups de matraque, ou des tuniques faites de vêtements trop grands cousus de protections en boîtes à œufs.

On connaît les clowns pour tourner la police en dérision et les raquettes de tennis pour renvoyer leurs projectiles – entre Zavatta faisant le zouave et Monsieur Hulot singeant le tennis. Au Québec, un prof de philo court les manifs en enfilant un costume de panda et fait des calins aux policiers anti émeute. Qui n’apprécient pas vraiment les élans de cette peluche vivante baptisée opportunément « Anarchopanda ». On a vu aussi sortir des miroirs pour aveugler les hélicos et des cerfs volants pour gêner leurs survols. C’est un peu l’histoire de David faisant un pied de nez, faute de fronde contre une armée de Goliath surarmés.

A Londres, l’exposition « Disobedient objects » présente jusqu’à fin janvier 2015 quelques spécimens d’innovations en forme de pied de nez ou d’artefacts pratiques, bricolés à partir de matériaux facilement disponibles, version DIY, Do it yourself. On trouve de tout, jusqu’à une bombe à tract qui fut expérimentée lors des manifs anti-Apartheid en Afrique du Sud. Même si ça fait toujours un peu bizarre d’exposer des accessoires de révolte dans la solennité d’un musée, forcément soupçonné de participer à la récupération. Ce qui n’a pas échappé à nos amis du mensuel de critique sociale CQFD dans son numéro d’octobre dernier.

En 2010 à Rome, la police s’est ridiculisée en matraquant Platon, Cervantès, Dante, Deleuze ou Boccace, brandis par les étudiants en grève. Leurs boucliers en carton renforcé affichaient des couvertures de livres classiques de la littérature et de la philosophie. Cette formule dite « Book Bloc » a été reprise à Londres, Montréal ou en Californie (cf la fiche technique pour le faire soi-même – et les clichés ci-dessus).

emeutes-willisProtection système D et drones insurrectionnels

Ces artifices de l’insurrection joyeuse ont bonne presse : ils incarnent la « non violence » dont seuls les manifestants devraient se revendiquer. Mais pour se protéger de la violence pure, celle d’en haut, le système D marche à fond. Contre les flashballs surpuissants, les LBD 40 qui ont éborgné tant de manifestants, autant porter casques de moto, masques d’escrimeurs ou de hockeyeurs. « Venez casqués » était le mot d’ordre de quelques manifs suite à la mort de Rémi Fraisse à Toulouse, Nantes et Paris. En sachant que « dissimuler son visage » en manif est un délit depuis quelques années. Autre astuce de protection : avec une bouteille d’eau de 2 litres, on peut confectionner un masque à gaz rudimentaire contenant des compresses imbibées de citron ou de vinaigre. Expérimenté à Istambul et ailleurs Pour apaiser les effets des lacrimos ou des gazeuses au poivre (lire par exemple cette fiche pratique en anglais).

Prochaine star de l’émeute spectacle : les drones. Ces bourdons-hélicos, équipés de caméras – et un jour de grenades ou de balles taser, c’est prévu –, ont aussi leurs failles. A basse altitude, une godasse, une canette de bière, un bout de bois peuvent suffire pour le dégommer. Sinon, on élève même des faucons pour ça, rapporte un papier jubilatoire de Rue89. Quoiqu’un bon lance-pierre, disponible en supermarché, serait plus précis — et pourra aussi servir à dézinguer des caméras de surveillance.

Mais le drone en tant qu’arme d’insurrection, nous apprend Libé, est apparu un peu partout ces temps-ci, et en France une directive permet à la police de les dézinguer au fusil à pompe si ces techno-volatiles survolent des centrales nucléaires ou des sites dits « sensibles ». Pour la fabrication bricolée de drone militant, rebaptisé « flone » (pour « flyng phone »), le musée british a aussi sorti sa petite fiche pratique et un site espagnol en dit davantage ici.

A quand le drone clown qui crache du gaz hilarant et déclenchant un fou rire ravageur dans les rangs d’une compagnie entière de CRS ?

Nicolas de la Casinière // Dessins de Giemsi et Willis from Tunis