Maël Nonet et Flavien Moreau, respectivement directeur de la publication et directeur artistique de Zélium, ont donné une interview au webzine Bulle d’Encre, spécialisé dans l’actualité de la bande dessinée. Il y est notamment question de la démarche du journal, de notre projet de retour en kiosque, des difficultés de la presse papier, de la publicité, du numérique… Nous reproduisons cet entretien ci-dessous :

 

Bulle d’Encre : Bonjour, vous lancez actuellement une campagne de financement participatif pour le magazine Zélium… Mais quel est ce magazine ?

Flavien Moreau : Zélium est un journal satirique indépendant qui réunit depuis 2011 un solide collectif d’artistes, de journalistes et de chroniqueurs, dont beaucoup se sont rencontrés au sein de l’équipe de Siné Hebdo, journal satirique du dessinateur Siné dont la publication a cessé en 2010. Si nous publions des enquêtes et des articles de fond, nous faisons avant tout la part belle au dessin d’humour et à la bande dessinée. Notre credo : la subversion rigolarde et la passion du dessin bien frappé !

Maël Nonet : Sur le plan juridique (pardonnez-moi de plomber l’ambiance), c’est un magazine édité par une association loi 1901 à but non lucratif, appelée « Jack is on the road ». Pour nous, c’est important : notre projet de presse respire l’état d’esprit associatif d’une bande de copains de tous âges qui donnent beaucoup de temps, d’énergie et de passion au sein d’un projet qui fédère dans un milieu satirique souvent gangrené par le clanisme. Aujourd’hui, Zélium réunit une centaine de contributeurs bénévoles, tous des professionnels de la presse ou de l’édition — dessinateurs, journalistes ou chroniqueurs. Notre projet réunit la crème des auteurs du paysage satirique en France, en Belgique et ailleurs, avec des contributeurs réguliers qui publient ou ont publié chez Hara-Kiri, Fluide Glacial, Le Monde, Libération, L’Écho des Savanes, Le Canard Enchaîné, Siné Mensuel, Bakchich, Psikopat, l’Humanité, Charlie Hebdo, Politis, Causette… et même dans le Journal du Jeudi, revue satirique du Burkina Faso !

BDE : L’objectif visé est un retour en kiosque. Mais actuellement, la presse papier ne va pas fort. Comment pensez-vous contourner cette difficulté ?

FM : Effectivement, la presse papier est en grande difficulté depuis un certain temps déjà, et cela n’ira pas en s’améliorant. Et ce sont les petits titres comme le nôtre qui en souffrent le plus. Zélium ne s’est jamais financé que par son activité d’édition. Le journal a été diffusé pendant presque deux ans dans les kiosques des pays francophones, puis nous avons dû quitter le réseau de distribution classique par manque de moyens. Cela a été l’occasion pour nous de repenser notre formule, en passant notamment du format tabloïd au format magazine, d’un papier journal à notre papier glacé actuel, en choisissant aussi de publier désormais des numéros thématiques (la finance pour le numéro 13, l’extrême droite pour le numéro 14, l’écologie pour le numéro 15…). Depuis la fin de l’année dernière, nous avons développé un réseau alternatif de diffusion, et on peut aujourd’hui trouver nos publications dans plus de 80 points de vente à travers la France, dans des librairies, des bars, des lieux associatifs, etc. Si nous avons lancé cette campagne Ulule de financement participatif pour notre retour dans les kiosques, c’est que nous pensons avoir trouvé aujourd’hui une formule viable, sur le plan éditorial, artistique, sur le fond et la forme de notre projet. Nous publions plus de dessins et de BD que les journaux satiriques traditionnels, plus d’enquêtes et de chroniques que les revues de BD traditionnelles, le tout concocté par des auteurs dont le talent est largement reconnu. Aussi, nous croyons en l’originalité de Zélium, et nous pensons avoir notre place dans les kiosques. Cela ne suffit sans doute pas à contourner les difficultés de la presse, mais contrairement à beaucoup de titres, notre but n’est pas d’engranger les bénéfices et de court-circuiter la concurrence (terme qui nous échappe), simplement de permettre à nos auteurs de continuer à s’exprimer bellement et librement dans nos pages !

MN : Il faut dire aussi que lorsque Zélium était en vente en kiosque au format journal papier, il fallait chercher pour le trouver… Il était souvent relégué en fond d’échoppe, caché derrière d’autres piles de journaux. Nous avons aussi pu constater à maintes reprises qu’il n’était tout simplement pas mis en vente dans de nombreux points de vente, et restait stocké en réserve. Ce qui n’améliore pas un taux de vente, vous en conviendrez. Ce retour en kiosque au format magazine est mûri de cette première expérience de deux ans en rayon. Nous pensons que notre contenu éditorial est plus adapté et valorisé au format magazine, plus pérenne. Zélium au format magazine sera plus visible dans le rayon de la presse BD satirique, aux côtés de Fluide Glacial, Psikopat ou encore L’Echo des Savanes. Tout en gardant sa spécificité éditoriale qui fait qu’il n’est pas en concurrence directe avec ces autres titres. Et ce retour en kiosque se fait aussi via un travail minutieux avec les Messageries Lyonnaises de Presse pour ce qui concerne l’optimisation de la diffusion. Si la campagne Ulule porte ses fruits, alors nous reviendrons en kiosque avec une diffusion à 9000 exemplaires, alors que le pays compte environ 30 000 points de vente. Nous ne serons pas présents partout, mais de manière ciblée, dans des points de vente où jadis Zélium était réellement mis en vente et se vendait et où la presse satirique a ses lecteurs. Et puis le retour de Zélium en kiosque bénéficiera du gros coup de projecteur que confère la campagne Ulule : l’information tourne sur les réseaux sociaux, les gens « s’engagent » réellement à nos côtés pendant cette campagne, ils en parlent autour d’eux. Ils ne souscrivent pas pour rien, ils ont envie tout comme nous que l’objectif de financement soit atteint, parce qu’on fait tous partie d’une même aventure collective. Il y a beaucoup d’affect dans cette campagne. Par exemple, récemment nous avons eu le soutien de la revue dessinée AAARG, et de l’hebdo Politis. Cela nous touche, nous motive et met du carburant dans notre moteur de bénévoles. Ça donne une notoriété et un crédit à notre combat pour une presse satirique vaillante, indépendante et plurielle en kiosque. Des célébrités du milieu aussi s’engagent officiellement en soutien à notre campagne, comme Aurel, dessinateur au Monde, ou encore Berth, dessinateur à Siné Mensuel. L’associatif vaincra !

BDE : Et le numérique dans tout ça ?

FM : C’est une question qui se pose régulièrement. Le fait est que les quelques expériences déjà menées en matière de publication dessinée numérique n’ont généralement pas fonctionné. Mais avant tout, nous aimons le papier, un support qui se partage physiquement et fait appel à tous les sens, et nous le revendiquons. Faire le pari d’une publication imprimée à l’heure du tout numérique, très paradoxalement, c’est à la fois s’inscrire dans la tradition et faire acte de subversion. Mais nous sommes loin de rejeter le numérique, le réseau, l’Internet. Nous disposons d’un site et de pages Facebook régulièrement alimentées, d’une boutique en ligne, et nous utilisons aujourd’hui la plateforme Ulule pour financer notre retour dans les kiosques. Il s’agit là de nos principaux outils de promotion, de communication, etc. En quelque sorte, notre projet se déploie dans une dimension hybride, exprimée à la fois sur le papier et numériquement.

MN : C’est vrai que nous éprouvons un amour profond pour l’objet papier… A titre personnel, j’aime feuilleter un magazine, je n’aime pas lire à l’écran. Quand j’achète un journal ou un magazine satirique, j’ai toujours une première lecture rapide : je feuillette pour d’abord lire les dessins, et ensuite je replonge plus en profondeur pour aller dévorer quelques articles. L’écran ne permet pas ça. Il y a quelque chose d’intime dans le rapport qu’a le lecteur avec le papier. Ça sent l’encre, on se coupe un doigt avec une feuille quand on rate son coup, le contact est matériel, plus charnel. Et je pense que cet amour pour le papier est partagé par bon nombre des contributeurs à Zélium, je ne suis pas sûr qu’on soit toujours une centaine dans le collectif si Zélium devenait 100 % numérique. Par contre, effectivement, le côté numérique est indispensable pour faire connaître le journal, pour communiquer, pour informer. D’ailleurs, depuis le 8 septembre, date du lancement de la campagne, notre n°15 sur le thème de l’écologie est en libre accès sur la page Ulule et a déjà été consulté près de 3000 fois. Le numérique est un très bon outil pour se faire connaître, mais j’ai de gros doutes sur la viabilité économique d’une presse satirique payante et 100 % numérique.

BDE : Le magazine se revendique comme indépendant et vous vous refusez à avoir des pubs (qui pourraient notamment financer le projet). Pensez-vous qu’il est impossible de concilier l’indépendance et la publicité ?

FM : Le refus de la publicité est un choix politique qui fait partie de l’essence de la presse indépendante. Mais la question de ce refus est en partie rhétorique, on imagine mal une multinationale chercher à placer des encarts de pub dans un magazine tel que le nôtre comme elle peut le faire dans les gros titres de presse, et c’est tant mieux ! Le terme de « publicité » est à double tranchant, nous en faisons pour les publications de nos auteurs, des événements choisis, etc., mais nous n’en ferons par exemple jamais pour des biens de consommation, le dernier livre à la mode d’une grosse maison d’édition, une banque, une marque de voiture, etc. Nous ne sommes le support que de nos idées et de celles de nos complices !

MN : Je pense que nos lecteurs aiment aussi cela, qu’il n’y ait pas de publicité dans nos colonnes. Et comme le dit Flavien, je ne suis pas sûr qu’une grande marque prenne le risque de payer pour communiquer dans nos pages. Nous serions bien assez pervers pour détourner leur pub sur la page d’en face. Par contre, un échange de bons procédés ne fait jamais de mal. Par exemple, notre imprimeur, Lilabox, qui est notre premier fournisseur et donc le plus gros poste de dépense pour notre association, est aussi un fervent soutien de Zélium. Nicolas, son patron, est également un ancien du fanzinat. Nous avons ainsi pu développer un partenariat commercial : des frais d’impression amoindris moyennant une visibilité pour son imprimerie en ligne dans les prochains numéros à paraître en kiosque. Avoir son premier fournisseur comme premier partenaire, c’est de bon ton !

BDE : Côté BD, vous avez quelques noms d’auteurs qui vont participer à cette aventure ?

FM : Depuis la création de Zélium en 2011, nous avons publié et continuons de publier beaucoup d’auteurs de BD, que les lecteurs pourront retrouver en kiosque dans Zélium, parmi lesquels : Caza, Mo/CDM, Rémy Cattelain, Rifo, Berth, Soulcié, Coco, Troud, Aurel, Flock, Caritte, Ivars…

MN : Sans oublier que nous avons également sorti fin 2012 quatre numéros de Z Minus en kiosque, un journal « 100 % dessin 0 % article », mêlant bandes dessinées, illustrations, dessins, strips, avec parfois des contraintes artistiques et techniques imposées. Trois d’entre eux ont même été étoffés d’un supplément BD de 12 pages, comme Hiroshiman, les origines de Rifo inséré dans le Z Minus n°2 ou encore un recueil du Chakipu (collectif nantais bourré de talents comme Clé, Toma, Prozeet, Neyef, etc.) dans le Z Minus n°4. Les auteurs de BD ont vraiment toute leur place dans Zélium, en vertu de la tradition d’accueil qui a toujours prévalu dans les colonnes du journal.

Propos recueillis par Anthony Roux pour Bulle d’Encre

 

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