Un article de notre journaliste Linda Maziz publié dans Zélium n°14, un numéro spécial sur l’extrême droite. Souscrivez pour notre retour dans les kiosques sur www.ulule.com/zelium !

Internet, un grand jukebox. Un jukebox à hoax, grouillant de rumeurs nauséabondes, racistes. Ou bien racistes. Voire racistes. L’extrême droite fournisseur officiel de la désinformation ? C’est une rumeur, bien sûr, mais pas si sûr.

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Le maire d’Avoriaz agressé pour avoir refusé la viande halal dans ses cantines. La ville de Niort subventionnée pour accueillir des familles noires de Seine-Saint-Denis. Taubira se plaint des conditions de détention de son meurtrier de fils. Delanoë veut supprimer les croix vertes des pharmacies à la demande de l’association « Paris-Beurs-Cité ». Des musulmans revendiquent la polygamie au nom du mariage pour tous. Des Roms payés par l’Etat à rien foutre. Et des milliers d’abrutis qui polluent le net chaque jour en colportant ce genre de bobards crapuleux. Les rumeurs, c’est comme la connerie, ça a toujours existé.

Mais question viralité, Internet offre aux hoax un meilleur débit que les comptoirs de troquets ou les pauses à la machine à café. La diffusion s’est d’abord limitée aux emails, forums, blogs. Les réseaux sociaux ont dopé la prolifération. Impossible pour autant d’en mesurer l’ampleur, de dénombrer combien de maillons ont transféré le message à leur carnet d’adresses, combien de fois l’info pourrie a été partagée sur Facebook, à partir du premier copié-collé. Et remonter à la source d’un hoax s’avère aussi coton que retrouver l’auteur d’un pet lâché à l’heure de pointe dans le métro. Acte anonyme, bien masqué, vite démultiplié, le hoax bénéficie d’un réseau optimal de distribution. L’extrême droite exploite l’essentiel du filon.

Explosion du hoax raciste

Lancé il y a 13 ans, le site Hoaxbuster est un vrai baromètre. Avec un million de visiteurs uniques par mois, il fait autorité en matière de traque aux canulars sur le web. Nichoax, qui a rejoint l’équipe en 2001, confirme : « Avant, on avait surtout affaire à des alertes aux faux virus, à des légendes urbaines du style ‘votre téléphone portable risque de vous péter à la gueule si vous l’utilisez pendant le chargement de la batterie’. Aujourd’hui, le nombre de hoax a non seulement explosé, mais la plupart sont à connotation politique ou sociétale, dans le seul but de servir une idéologie raciste. »

Ces dernières années, les hoax racistes ont pris la tête du hit-parade, en fréquence comme en popularité. « On a halluciné de voir le nombre de rumeurs islamophobes s’enflammer jusqu’à représenter un hoax sur deux parmi ceux qui nous sont rapportés. » Si Hoaxbuster s’affirme volontairement généraliste et apolitique, le site des debunkers a lui été créé en avril 2013 pour démolir spécifiquement les hoax, intox et rumeurs venus de l’extrême droite. Une stratégie proche de la tapette géante face à une prolifération de ces mouches-à-merde de la fachosphère. « Autant c’est très difficile de retrouver le créateur d’un hoax, autant quand on essaie de remonter à la source, on s’aperçoit que ça émane toujours d’une galaxie très impressionnante de sites et de micro-groupes qui dégueulent en permanence leur propagande fasciste« , explique le fondateur des debunkers, sous son pseudo Sutter Cane. « C’est vraiment à gerber. On essaie d’ailleurs de faire fermer les pages les plus ignobles, en faisant des signalements sur Facebook, ou directement sur le site du gouvernement. »

Et ça dépasse la simple injure raciste. « Il s’agit d’appels au meurtre, à la ratonnade, à prendre les armes. On voit passer aussi des trucs totalement ridicules, comme l’envoi massif de tranches de jambon à des mosquées. Et tous ceux qui gravitent dans cette nébuleuse-là font également feu de tout bois pour répandre au maximum leur idéologie. Ca passe évidemment par un travail de récupération des faits divers, pour faire passer un cas isolé pour une généralité, dans la tradition classique du discours essentialiste de l’extrême droite. »

Réac décomplexé

Mais déformer la réalité ne leur suffit plus pour alimenter leur fabrique de dégueulis. « Comme ils manquent de matière, ils en inventent en partant dans leur délire raciste pour prouver au monde que les étrangers sont néfastes et auto-alimenter leur discours de haine. Ils truquent des photos, écrivent des fausses lettres, des articles bidons qu’ils balancent sur Internet. » Les exemples cités en début d’article ne sont qu’un petit échantillon. L’imagination fertile des fachos tombe à la bonne époque. « C’est hyper à la mode d’être réac« , explique Sutter Cane. « On est dans une période de crise, les gens ont beaucoup de mal à trouver du boulot et depuis toujours, quand on est dans cette situation-là, on va dire que c’est la faute de l’immigré, ajoute Nichoax. Si les hoax racistes se partagent aussi bien, c’est à mon sens parce qu’on a eu ces dernières années des politiques, notamment à droite, particulièrement décomplexés sur le sujet et qui n’hésitent pas à en parler ouvertement. Ce qui permet à des gens qui avaient jusqu’alors un peu de retenue de s’afficher publiquement et de se laisser aller à des insultes racistes, dont on pensait pourtant avoir banni l’usage. »

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Pris par les sentiments

Si la classe politique est en partie responsable de cette situation, Sutter Cane pointe aussi les médias traditionnels : « Le hoax a cette particularité d’essayer d’annihiler la capacité de réflexion en faisant appel aux sentiments. Mais si on y réfléchit, les médias font exactement la même chose. Il nous abreuvent tellement de faits divers exploitant ce registre de l’émotion que les gens prennent toutes ces histoires qu’on leur raconte pour argent comptant, sans jamais vérifier l’information. » Faut être con, d’autant plus qu’il y a rarement besoin d’aller chercher bien loin pour débusquer un fake. « On n’est pas des magiciens, on fait juste le boulot que les autres ne font pas« , dit Sutter Cane. Pas besoin d’être un expert en fact checking pour repérer que la mairie d’Avoriaz n’existe pas (la station est rattachée à la commune de Morzine) ou que Taubira n’a pas de fils en prison. Chez Hoaxbuster, on n’aime pas trop démonter ce genre de rumeur. « On a l’habitude de traiter des hoax un peu plus subtils, fouillés, étoffés. Là, la moindre petite vérification permet généralement d’infirmer le message« , remarque Nichoax. Le site est par ailleurs tellement submergé de hoax de ce type que l’équipe, qui ne compte que des bénévoles, ne peut pas tous les traiter. « Quand on sait que c’est lié à un événement particulier, que ça ne va pas durer, on choisit délibérément de ne pas en parler pour ne pas lui donner plus d’ampleur qu’il n’en a déjà. »

Vrai-faux plausible

Et de toute façon, qu’ils traitent ou pas, ça ne semble rien changer. « Quand les gens sont partis là-dedans, quoi qu’on fasse, ça viendra toujours valider leur délire. Typiquement, l’histoire des familles du 93 envoyées à Niort a déjà fait le tour de plusieurs villes. Si le maire dément, c’est qu’il a quelque chose à cacher, mais s’il choisit de ne rien faire, c’est qu’il est coupable. Sur Internet, c’est exactement pareil. Ca ne sert à rien de donner des arguments et d’étayer un raisonnement sensé, puisque dans ce domaine, la vérité n’a aucune importance. A partir du moment où ça les conforte dans leurs idées reçues, les gens s’en foutent de savoir si c’est vrai ou pas. Même si on leur montre que c’est faux, ils répondent que ça pourrait très bien être vrai. » Un combat à armes inégales, mais qui n’est pas vain : « On est persuadés qu’à force de publier des démentis imparables, on peut réussir à installer un doute. Du moins, c’est l’utopie avec laquelle on travaille« , dit Sutter Cane.

Do it yourself

Les hoax politiques, une spécificité de la droite ? Sans doute. Les gens de gauche ont l’air dégoûté. Allez, un peu de lâcheté, un zeste de graveleux. Vu l’efficacité de ces machins, on ne devrait pas s’en priver. En plus, c’est pas très compliqué à faire. Tout est dans le style, à fond dans l’émotion. En langage hoax, on appelle ça le glurge, onomatopée anglaise qui imite le bruit d’un vomissement. Il faut du larmoyant dans l’horreur, ou du bon sentiment dégoulinant. A lire sans aucun recul, on doit avoir le coeur au bord des lèvres. Et plus c’est gros, plus ça passe. Préférez les trucs grossiers, le brut de décoffrage. Pareil pour les photos truquées. Surtout, martelez bien que c’est une histoire vraie, qu’il faut absolument partager. N’hésitez pas à glisser une menace. Maintenant que vous maîtrisez la recette, passez aux travaux pratiques. Si les fachos ont réussi à enflammer le web avec une photo d’Aubry en burqa, pourquoi pas Christine Boutin voilée sur une télé iranienne dénigrant le mariage gay dans un pays qui condamne les homos à mort ? D’autres exemples : le père Le Pen aurait torturé pendant la guerre d’Algérie. Copé aurait passé ses vacances dans la piscine de Ziad Takieddine. Quoi, quoi le conditionnel ? Tout démenti prétendant que ça s’est vraiment passé comme ça sera certifié d’origine douteuse.

Linda Maziz – Zélium n°14 – Janvier 2014
Illustrations : Beuh / Decressac